Thèse : L'école française au Vietnam de 1945 à 1975
De la mission civilisatrice à la mission culturelleThèse de doctorat de Sciences de l’éducation, dirigée par Rebecca ROGERS, présentée et soutenue publiquement le 20 septembre 2013 devant un jury composé de :
- Pierre BROCHEUX, Maître de conférences honoraire, Université Paris Diderot
- André ROBERT, Professeur des Universités, Université Lumière Lyon 2
- Marie SALAÜN, Professeure et rapporteuse, Université de Nantes
- Philippe SAVOIE, Professeur et rapporteur, Ecole normale supérieure de Lyon
L’école française au Vietnam de 1945 à 1975 : de la mission civilisatrice à la diplomatie culturelle
Ce travail de recherche historique retrace l’évolution de l’école française au Vietnam de 1945 à 1975, en s’appuyant à la fois sur les archives et sur les témoignages d’anciens élèves et professeurs. Dans l’Indochine coloniale, sous couvert de la « mission civilisatrice », les Français instaurent un système éducatif destiné à produire des subalternes, leur crainte étant de créer des « déclassés » menaçants pour l’ordre colonial. Pourtant, en dépit des résistances officielles, les élites vietnamiennes font entrer leurs enfants dans les lycées français réservés en principe aux Européens, s’appropriant en partie ces établissements.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Vietnam s’engage dans la voie de l’indépendance, obligeant les Français à repenser leur doctrine scolaire, qui, après avoir cru un moment que la France resterait « l’éducatrice de l’Indochine », se résolvent à un rôle d’accompagnement via la création d’une mission culturelle. Il n’est plus question de limiter l’accès des Vietnamiens aux lycées français mais au contraire de leur ouvrir les portes pour leur proposer un enseignement de haut niveau. La défaite française de Điện Biên Phủ en 1954, qui voit la France se désengager du Vietnam, accélère la mutation de l’ancien système éducatif colonial. En passant sous la tutelle des Affaires étrangères, l’enseignement français au Vietnam devient un instrument de la diplomatie culturelle. Les Français espèrent qu’une présence culturelle assurée notamment par leurs prestigieux lycées leur garantira une influence déterminante.
Au Nord, dans la République Démocratique du Vietnam pro-soviétique, le Lycée Albert-Sarraut devient la seule école occidentale à fonctionner dans un État du bloc communiste, et permet aux Français de conserver en pleine Guerre froide un lien privilégié avec un pays considéré en Occident comme un ennemi. Cette expérience unique s’achève en 1965 faute d’entente entre Français et Nord-Vietnamiens sur la nature du lycée.
Au Sud, dans la République du Vietnam nationaliste et pro-américaine, la situation reste plus longtemps favorable aux Français. Les élites vietnamiennes se pressent aux portes des lycées français, gages d’un enseignement de qualité et d’un meilleur avenir pour leurs enfants dans un pays en guerre. Pour les Français, cette attirance pour leurs écoles et pour la culture française leur permet de contrer l’influence grandissante des États-Unis, qui investissent lourdement dans la réforme de l’État sud-vietnamien et notamment dans celle du système éducatif. Cependant, les gouvernements sud-vietnamiens, pour des raisons politiques, décrètent à la fin des années 1960 la nationalisation progressive de ces écoles.
Après la réunification en avril 1975, tous les établissements français sont rendus au Vietnam. Telle qu’il est raconté par l’histoire « officielle » des archives, le parcours du système d’enseignement français au Vietnam se termine donc par un échec. Au Nord comme au Sud, les satisfactions qu’en retirent les dirigeants français sont minimales. Les élites vietnamiennes ne se sont pas ralliées aux positions françaises. Culturellement, la francophonie au Vietnam régresse dès les années 1950.
En revanche, pour la centaine d’anciens élèves que nous avons interrogés sur cette période de leur vie, le système d’enseignement français est décrit comme un véritable succès, en dépit de parcours familiaux et scolaires particulièrement tourmentés. Leur perception de l’école française est unanimement positive. Ils ont étudié au sein de ces établissements dans une ambiance pacifique, studieuse et égalitaire. Ils reconnaissent à l’école française un rôle fondamental dans la construction de leur personnalité, ainsi que dans leur réussite personnelle au cours de leur existence. C’est grâce à cette école qu’ils sont devenus des êtres « complets », riches de leur double culture. De leur point de vue, l’école française au Vietnam après la colonisation est une réussite. On voit ici, au travers de cette comparaison entre l’interprétation historique et l’interprétation mémorielle de l’école française au Vietnam entre 1945 et 1975, combien histoire et mémoire sont complémentaires dans notre compréhension du passé.